Dominique
Digeon série des bois verts 1992
Une
sensation de laitue frisée et de bulles dans les artères ; sur la
planète de Dominique Digeon, le trait gigote et la couleur rouspète.
Gourmand et généreux, le jeune peintre remplit des grandes toiles
à tours de bras, en compilant des traces. Jubilation d'abord, puis
composition, système. Sur un fond badigeonné, délimitant des espaces
colorés, les pistes se brouillent. Dans le buisson des coups de
pinceau, quelques lignes essentielles apparaissent, organisent.
Tout le reste est classique : concentrations, développements, contraste,
nuances. "J'en rajoute, mais en évitant que çà ne devienne lourd.
Il faut trouver un point d'équilibre dans la richesse, avant d'atteindre
le superflu. A trop continuer, on risque le précieux, ou le 'crado',
en tous cas au détriment de la peinture. Il y a un moment de lassitude
de la toile, à prévenir". Mais invariablement, Dominique Digeon
repousse le seuil de tolérance de la composition. Parfois le peintre
arrête ses oeuvres gigognes à leurs premiers stades. Les dégoulinades
s'affichent avec bonhomie, et les manquent fanfaronnent. "Trop finir,
c'est fermer, transformer en icône, faire des images un peu trop
sages, sacrées." La perspective tourne plus court. Le regard rebondit
à la surface. Interdite de plongée, l'imagination se concentre sur
le procédé. Pour mieux dénoncer la platitude de l'image, récemment
l'artiste s'est mis à coller dessus : des morceaux de verre, des
cubes de bois. Nouvelle façon d'animer. A la profondeur classique
du dessin, Dominique Digeon préfère le rythme graphique des contrastes.
A passer un peu vite, on pourrait trouver la part du hasard et le
besoin de l'oubli trop conséquents, dans cette oeuvre. La sincérité
et la bonté de l'artiste contribuent à semer le doute. Lorsqu'il
dit, par exemple, que sa peinture est "importante, mais pas sérieuse
; comme la bande dessinée", ou qu'il faut "d'abord se lancer, voir
ensuite, et avoir à la peinture un rapport de plaisir"...
Françoise
MONNIN, journaliste, critique d'art, mai 92